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Photo du rédacteurJérôme Gonzalez

Entretien avec Jérôme Giusti

Jérôme Giusti est avocat, cofondateur du cabinet MetaLaw, qui accompagne les organisations publiques et privées dans les grandes mutations techniques, sociales et environnementales. Le LICA collabore depuis quelques années avec Jérôme Giusti, ensemble ils travaillent notamment sur le sujet des licences de coopération.


Cet entretien est l’occasion de revenir sur l’un des sujets clés au LICA, à savoir la notion de commun, quels sont les outils juridiques disponibles pour les créer, les gérer et quels exemples concrets peuvent nous inspirer ?


LICA - Tout d’abord, nous sommes très heureux de te retrouver pour une conversation autour de la notion de commun. Nous te proposons de revenir aux origines pour que nos lecteurs puissent saisir le caractère à la fois innovant et historique de la notion de commun.

Jérôme Giusti - En effet, la notion de commun présente une histoire : anglaise et française. Dans l’histoire anglaise, qui remonte à l’ère pré-industrielle, les paysans de la campagne présentaient un droit d’usage sur des espaces ouverts, notion d’OpenLand du 19ème siècle. Ils pouvaient ainsi à leur gré amener leurs troupeaux sur les patûrages - OpenLand - pour produire les ressources nécessaires à leur subsistance. Avec l’industrialisation, la notion d’Enclosure - enceinte - s’est développée, les paysans sont devenus ouvriers et les espaces ouverts se sont fermés.

En France, nous avons un article du code civil très important dans l’histoire des communs, notamment l’article 714, qui a été rédigé à l’époque pré-industrielle sous Napoléon. Cet article exprime textuellement 2 choses : « Il est des choses qui n'appartiennent à personne et dont l'usage est commun à tous. Des lois de police règlent la manière d'en jouir. »

Cet article de loi invite donc le gouvernement à protéger des communs et à s’intéresser à la manière dont on en use.


LICA - Au sujet de cet article 714, existe-t-il un équivalent au niveau du droit européen ?


Jérôme Giusti - À ce jour, non, il n’existe pas de texte qui instituerait un droit des communs au niveau européen.


LICA - Probablement une piste à explorer, car le niveau européen est certainement celui qui après la RGPD pourrait apporter des fondations robustes à une gestion des communs... Du point de vue des plateformes numériques, nous savons que tu as travaillé sur différents chantiers, pourrais-tu revenir sur les premières initiatives et la fameuse « tragédie des communs » ?


Jérôme Giusti - Oui, dans la notion de commun, peut se retrouver aussi la notion de propriété. On pourrait dire que le commun est issu de la propriété : des choses qui appartiennent à une ou peu de personnes morales ou physiques, mais dont l’usage est ouvert à tou.te.s. Dans le cas du logiciel libre par exemple, l’attribut d’une licence de type Open Source ou Creative Common est le seul fait de son auteur. C’est donc l’auteur d’un logiciel, qui - parce-qu’il a les droits pour le faire - décide de le basculer dans le commun des logiciels libres.

Et c’est particulièrement dans le domaine du numérique qu’on peut effectivement parler de la tragédie des communs : toujours dans le cas des logiciels libres, leur statut les voue d’une certaine manière à l’échec. Il présentent en effet le risque d’être accaparés, détruits, abusés par des tiers qui profitent justement de ce caractère ouvert.


LICA - Alors, selon toi, avons nous les outils disponibles pour tracer un chemin pour les communs à l’âge du numérique qui ne tombent pas dans cette tragédie ?


Jérôme Giusti - Oui, c’est exactement ce sur quoi je travaille à travers différents chantiers. Je peux citer notamment les réflexions menées pour faire émerger une économie circulaire de la donnée. Les outils juridiques actuels permettent d’ores et déjà de définir des modalités de gestion de la donnée à travers une gouvernance adaptée. Les droits d’usages, de modification, d’accès, de commercialisation et les modalités de redistribution de la valeur créée à travers ces données peuvent ainsi être gérés par cette entité ou éventuellement à travers la création d’une structure juridique ad hoc.

De façon plus générale, les travaux que je mène sont relatifs à la mise en place d’écosystèmes qui ont pour objectif de partager des ressources et de créer ainsi de la valeur pour les différentes parties. Je peux citer l’Agence France Développement avec une plateforme numérique à destination de communautés d’entrepreneurs basés en Afrique qui vont pouvoir utiliser le logiciel, mais également une base de données et des outils méthodologiques, ou encore TheCamp, qui a développé une ressourcerie de communs, lesquels sont mis à disposition de façon libre et limitée aux contributeurs de TheCamp. Je suis actuellement saisi par différents acteurs pour exploiter la blockchain afin de gouverner des communs.


L’idée générale est qu’un bien non rival et non exclusif peut créer plus de valeur qu’un bien rival et exclusif *Pour en savoir plus sur les notions de rivalité et exclusivité.

On reste aujourd’hui dans la croyance que l’économie de la rareté créerait plus de valeur que l’économie du partage. Or on peut l’observer avec les vaccins développés face à l’épidémie du Covid-19, les brevets viennent limiter la diffusion d’un bien qui pourrait - devrait ? - être disponible partout le plus rapidement possible...

Les brevets offrent un monopole de 20 ans, pour certains c’est indispensable pour pouvoir investir et compenser la prise de risque initiale.

Je soutiens qu’il ne faut pas opposer les 2 modèles : le droit de propriété et le droit d’usage. Il me semble que le rapport de force - caricatural entre l’accumulation et le partage - doit s’équilibrer. J’invite à ramener le curseur vers moins d’exclusivité, mais les forces en présence sont extrêmement vigoureuses et se sont par exemple mobilisées lors de la loi pour une République Numérique d’Axelle Le Maire en 2016. Je faisais partie des défenseurs pour la présence dans cette loi d’un article portant sur la reconnaissance des communs numériques. Les défenseurs de la propriété intellectuelle (le CPSPLA notamment) ont été vent debout contre ce projet de loi progressiste !

De mon point de vue, il est urgent d’expérimenter du commun numérique et de légiférer. La loi permet de statuer et consolider toutes les initiatives qui fleurissent ici et là. C’est pourquoi avec la fondation Jean Jaurès, je contribue à ouvrir un cycle d’étude et de réflexion sur une nouvelle économie fondée sur les communs (il s’agit de revoir le logiciel politique de la gauche notamment autour des communs.)


LICA - Encore merci Jérôme pour ce partage et hâte de travailler ensemble à l’élaboration de ces nouveaux outils !

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